Travis Strikes Again: No More Heroes, sur Switch

Les équipes de Grasshopper Manufacture, sous la direction de Suda Goichi, plus connu sous le pseudonyme de Suda51, reviennent plus d’une décennie après le premier épisode de No More Heroes (Wii), pour nous proposer un jeu hommage, toujours aussi fou, toujours aussi ambitieux mais avec un peu moins de budgets.


Dans la sphère des créateurs de jeux vidéo japonais, quelques noms reviennent régulièrement, comme une signature et une promesse de ce que l’on peut attendre d’un jeu. Le nom de Suda51 nous oriente vers un jeu au scénario barré, un goût pour une certaine forme de violence et un gameplay très orienté action. On retrouve tous ces éléments dans la série No More Heroes, débutée en 2007 sur Wii et qui a connu ses années de gloire sur la console à la Wiimote avec deux épisodes puis une adaptation sur la PS3 en 2011. La série est finalement retombée dans le sommeil avant de retrouver les bancs de Nintendo avec ce nouvel épisode. Intitulé « Travis Strikes Again: No More Heroes », le jeu prend bien le soin de ne pas s’appeler No More Heroes 3, comme un avertissement que ce que l’on va trouver ici est très différent des débuts de la série.

Travis Strikes Again Toilets

Dans la tradition de No More Heroes, on sauvegarde en faisant une pause pipi

Du jeu original No More Heroes, Travis Strikes Again a bien évidemment gardé son protagoniste, Travis Touchdown (le nom est dans le titre), et son arme fétiche, le sabre laser. Pendant un affrontement contre Badman, père de Bad Girl (ennemie que Travis a affrontée et tuée dans un autre épisode), Travis et son adversaire se retrouvent téléportés dans le monde d’un jeu vidéo contenu à l’intérieur de la console très spéciale, la Death Mark 2. Cette console a été développée par un créateur au génie fou, accompagnée de 6 jeux (ou bien est-ce 7 ?), qui une fois complétés permettent, selon les mythes entourant la console, d’exaucer n’importe quel souhait du joueur. Badman et Travis décident dès lors de mettre leur conflit de côté pour collaborer dans la recherche et la collection des 5 Death Balls manquant (supports contenant les jeux que la console peut lire) ainsi que la complétion des 6 jeux. Un scénario abracadabrantesque, tout à fait en accord avec ce à quoi Suda51 nous a habitué, on aime ou on déteste, mais la tradition de No More Heroes est ici tout à fait respectée.

 

6 jeux pour le prix d’un

La base du jeu reste celle des jeux beat’em up traditionnels, où il faut avancer en tuant des vagues d’ennemis pour arriver au boss de fin de monde. Deux boutons sont dédiés à l’attaque, deux autres à l’esquive et au saut. En plus du côté bagarre, on retrouve un système de niveaux à la RPG, ainsi que des améliorations présentées sous la forme de « puces électroniques », un peu comme dans NieR Automata. Celles-ci permettent d’obtenir des coups puissants, une meilleure portée, ou bien même des aptitudes de soutien comme se déplacer plus vite ou se soigner. Ce système est très intéressant et modifie réellement votre façon de jouer; par exemple, je me suis vite retrouvé à préférer les puces permettant d’effectuer des attaques à distance afin d’éviter les coups au corps-à-corps (pratique lors des combats de boss). Le jeu dispose également d’une bonne variété d’ennemis, provoquant des situations très différentes selon les combats.

Travis Strikes Again Interface

L'interface est constamment encadrée par deux volets rappelant vos compétences disponibles

Au-delà de cette bonne base de gameplay, la promesse de Travis Strikes Again est de nous proposer dans chaque univers, une mécanique de gameplay différente qui vient pimenter le parcours du joueur. Je ne vous listerai pas ici la totalité de ces éléments pour ne pas vous gâcher la surprise, mais on retrouvera des puzzles, de la course automobile ou encore de la plateforme en deux dimensions. Et chacun de ces gameplays apporte un peu de fraîcheur bienvenue à chaque nouveau monde…

Car il faut bien l’avouer, malgré une bonne base pour le gameplay et des changements réguliers, le jeu parvient malgré tout à instaurer un sentiment de lassitude dans chacun des mondes parcourus (certains beaucoup plus que d’autres). Cela venant du fait qu’il nous impose de répéter les mêmes situations un trop grand nombre de fois et sans véritable enjeu si ce n’est de passer au niveau suivant. Au sein d’un même monde, les environnements se ressemblent tous, les objectifs restent les mêmes et les obstacles sont répétés un peu trop souvent. Si bien que l’on se retrouve un peu lassé et épuisé à la fin de chaque jeu avec un sentiment à mi-chemin entre l’excitation de découvrir quelque chose de nouveau et l’envie d’en rester là.

Travis Strikes Again Boss Fight

Les combats de boss savent faire monter l'adrénaline

Aussi, les mécaniques qui varient le plus de celles du jeu de base sont bien souvent mal intégrées. Je pense notamment à la partie « plateforme » dans le troisième jeu et aux Donuts rebondissants qui permettent de se déplacer au milieu de la forêt (sans commentaire) qui semblent n’obéir à aucune loi de la physique. Tant et si bien que j’ai finalement préféré marteler le bouton de saut afin de gérer les rebonds plutôt que d’essayer d’appuyer au moment précis où Travis touchait le sol.

À l’inverse, je tiens à tirer mon chapeau aux phases de course, qui sont différentes de tout ce que j’ai pu jouer jusqu’à maintenant et qui savent être courtes et provoquer la montée d’adrénaline et l’excitation qui manquent à certaines autres phases du jeu. On aurait presque aimé que les développeurs explorent un peu plus cet aspect.

Mentionnons également les phases de recherche des « Death Balls », entre chaque jeu, qui prennent la forme d’une aventure textuelle, où aucune interaction n’est attendue de la part du joueur si ce n’est d’appuyer sur le bouton d’action pour faire défiler les dialogues. Cela n’est pas forcément gênant en soi, mais l’histoire racontée est très loin du niveau d’un bon « visual novel », pour ne pas dire qu’elle n’a littéralement aucun intérêt. Et je vous avoue qu’après avoir cherché un peu à comprendre ce qui se passait, je me suis rapidement retrouvé à ne plus lire les événements et à accélérer jusqu’à la fin des chapitres. Je suis vraiment très surpris du choix qu’ont fait les développeurs ici, puisque l’histoire du jeu repose entièrement sur le second degré, nous invitant rapidement à nous détacher du scénario principal pour nous focaliser sur le gameplay. Pourquoi donc essayer, sans succès, de forcer le joueur à lire une dizaine de minutes de dialogues toutes les deux heures de jeu pour ne rien raconter d’intéressant ?

Travis Strikes Again Textual Gameplay

Le jeu semble s'inquiéter lui-même de son propre sort lors des phases textuelles 

Un jeu indépendant ? Ou un AAA Nintendo ?

Si vous avez jeté un œil aux captures du jeu qui se trouvent dans cet article, vous aurez immanquablement remarqué que le style graphique et artistique du jeu sont très en dessous de ce que les jeux Switch nous proposent régulièrement. Et je dois bien avouer une petite déception de ma part à ce propos puisque, pour moi, ce qui faisait l’ADN de No More Heroes sur Wii était justement ses qualités graphiques et son environnement en monde ouvert qui en faisaient un peu le GTA de la Wii. Ce n’est ici plus du tout le cas puisque l'on se retrouve au milieu d’environnements répétitifs et cloisonnés nous poussant dans une unique direction et dont la pauvreté graphique laisse souvent l’impression qu’ils ont été mal finis. Le jeu justifie plus ou moins bien ce problème par le côté « rétro » des jeux dans lesquels Travis et Badman sont téléportés, mais il est assez évident que le jeu n’a pas disposé du même budget de réalisation que les épisodes Wii et PS3.

Travis Strikes Again T-shirts

La boutique de T-shirts contient quelques bonnes références

Pourtant Travis Strikes Again sait effectuer ici et là des choix artistiques peu ordinaires qui lui font beaucoup de bien. On pense notamment à toutes les références qu’il effectue à d’autres jeux ou univers qui fonctionnent très souvent à merveille. De Tron à Hotline Miami en passant par les consoles Sega, Dragon Ball ou les anciens jeux de Grasshopper eux-mêmes, les références sont nombreuses et de bon goût.

Et le jeu pousse sa filiation avec les jeux indépendants à succès de ces dernières années avec un système de T-shirts à collectionner aux couleurs des nombreuses licences à succès de la scène indépendante de ces dernières années. J’ai bien évidemment parcouru la majeure partie du jeu habillé avec le T-Shirt d’Hollow Knight, jeu auquel Grasshopper ont eu le bon goût de rendre hommage. Ne nous y trompons cependant pas. Malgré ses airs de jeu indépendant, Travis Strikes Again est largement soutenu par Nintendo et bénéficie d’une mise en avant sur tous les supports du constructeur dont beaucoup de développeurs indépendants rêveraient d’avoir.

L’important, c’est de s’amuser

Il est très difficile de tirer une conclusion définitive sur Travis Strikes Again: No More Heroes. Le jeu repose sur un gameplay solide, cherche à proposer de l’originalité bienvenue pour le genre du beat’em up et pourtant manque souvent cruellement de finition qui en ferait un excellent jeu, quitte à se perdre lui-même en chemin. Au final, la douzaine d’heures requise pour terminer le jeu, aurait pu être légèrement réduite, au prix d’un ou deux mondes moins intéressant, afin d’apporter un peu plus de soin et de diversité au sein des autres mondes. Pourtant, Travis Strikes Again est un jeu avec lequel je me suis amusé la plupart du temps, et, même s’il ne rentrera pas dans ma liste des indispensables de la Nintendo Switch, je pense qu’il vaut le coup d’œil, ne serait-ce que par l’originalité de ce qu’il a à proposer. Dans la tradition de Marie Kondo, je remercie donc Travis Strikes Again pour toute la joie qu’il m’a procurée et je vais passer à autre chose sans regret.